vendredi 25 février 2011

TINA

Certains des lecteurs qui suivaient mes aventures en Amérique du Sud en 2007 - ou encore en Amérique Centrale en 2010, se souviendront peut-être de mon utilisation personnelle de l'expression TISA (devenue TILA par extension en Amérique Centrale), en référence aux choses qui peuvent paraître incroyables pour un étranger mais qui sont tout à fait normales pour un local. Cette expression était bien sûr une référence à TIA, popularisée par le personnage interprété par Leonardo DiCaprio dans Blood Diamonds (TIA: This is Africa). Si elle était sérieuse et dramatique dans ce contexte, je n'ai pour ma part utilisé l'acronyme que dans des situations amusantes.
Après mon utilisation de This is South America (ou Latin America, selon ma localisation), me voici donc avec une petite anecdote typiquement TINA!
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Le projet était pourtant simple: faire le trajet Montréal-Dolbeau-Mistassini pour aller s'installer au Lac St-Jean pendant une dizaine de jours. Hum... J'allais apprendre qu'avec l'aide de la malchance et de l'hiver, rien n'est jamais simple.
Habituellement, nous faisons le trajet en autobus jusqu'à Alma puis attrapons un lift vers Dolmis. Mais cette semaine, nous avons eu un coup de chance; Dominic, le frère de Suze, venait avec sa conjointe Justine, pour un suivi médical à Montréal. Comme le rendez-vous était le mercredi en avant-midi, et qu'ils prévoyaient repartir le jour même, ils nous ont offert de nous embarquer pour la portion Montréal-St-Félicien, où nous devions attraper un lift vers Dolmis.
Comme Dominic et Justine avaient déjà effectué le trajet aller la veille (le mardi), j'ai proposé de conduire pour la portion Montréal-St-Félicien de notre trajet. Nous avons quitté Montréal vers 13h en empruntant l'autoroute 40 vers Trois-Rivières, avons fait une pause repas à Yamachiche (où Justine voulait manger Thaï; et oui, ça m'a étonné de trouver un restaurant Thaï à Yamachiche), puis avons filé vers Shawinigan pour prendre la route 155 qui longue le St-Maurice vers La Tuque.
À peine passé 16h, le pneu avant droit crève soudainement et nous devons nous arrêter sur le bas côté. Le soleil jouait déjà à cache-cache avec le sommet des montagnes situées de l'autre côté du St-Maurice depuis un moment, il choisi ce moment-là pour disparaître. Nous activons les feux clignotants d'urgence du véhicule et nous nous installons donc pour changer de roue. Je monte le cric et Dominic s'attaque aux écrous. La roue de secours sur ces véhicules (Dodge Caravan 1999) est située sous la valise arrière, et est libérée via un système de vis à encrage située dans la valise. J'entreprends donc de dévisser le mécanisme de l'intérieur, pendant que Dominic retire la roue portant le pneu crevé. Nous réalisons assez rapidement que le mécanisme de la roue de secours semble coincé. Après un temps, malgré nos efforts conjoints, on doit se rendre à l'évidence, nous ne parviendrons pas à dégager la roue de secours. Le véhicule est âgé et cette roue n'a jamais été utilisée; de la rouille s'est installée et a complètement bloqué le mécanisme; rien à faire.
Alors que la luminosité diminue et que l'obscurité s'installe à son tour, la température descend de manière perceptible. Je dois mentionner que comme il s'agit de mon premier hiver en trois ans, je ne suis pas particulièrement bien équipé pour faire face au froid sur une longue période de temps; mes bottes de randonnée ne sont pas très isolées, mes petits gants de ville non plus. Bref, après environ une demi-heure de perte de temps, nous commençons à trouver que le froid n'aide en rien les manoeuvres. Le trafic, plutôt intense en nombre de véhicules lourds, n'aide pas non plus à se sentir en sécurité sur le bord de la route. Justine étant abonnée au CAA, elle sort sa carte et son cellulaire. Mais en tentant de faire l'appel, elle verrouille le clavier par mégarde; quelque chose qu'elle n'avait jamais fait sur cet appareil. Elle n'a donc aucune idée comment le déverrouiller. Notre cellulaire servira donc (heureusement), mais le signal est faible et intermittent. Justine doit, comme dans les films, tenir l'appareil à une certaine hauteur, et avec un certain angle pour augmenter la capacité du signal reçu. Elle fini donc par joindre quelqu'un du CAA, qui veut évidemment savoir où nous sommes exactement.
Or nous l'ignorons.
Je sais, ça a l'air stupide, mais c'est un fait. Pour ma part, ça fait des années que je n'ai pas emprunté cette route-là (le bus passe par Québec, et j'ai eu à faire à quelques reprises à Québec ou Saguenay en route vers le Lac). En plus, ça n'a jamais été une route que j'ai beaucoup fréquenté, et les villes et villages de l'époque sont maintenant tous plus ou moins fusionnés, alors je porte peu attention aux panneaux annonçant tel ou tel village.
J'informe Justine que je sais toutefois que nous sommes quelque part entre Rivière Matawin (si ça s'appelle encore comme ça) et La Tuque, mais pas rendus à Rivière-aux-Rats (qui est en fait fusionné avec La Tuque aujourd'hui). Je sais aussi que nous avons passé la seconde route menant vers St-Tite - et St-Séverin, je pense à mes amis Joël et Valérie à chaque fois que je passe ces croisements sur la 155. Ce n'est pas très précis, et le gars à l'autre bout nous informe que sans localisation précise, il ne peut envoyer quelqu'un. Je n'ai pas réellement porté attention à chaque borne kilométrique rencontrée, mais je sais que nous avons passé le km 62 (et que La Tuque doit être à environ 25-30 km de notre position). C'est encore trop vague, et le court segment droit où nous nous sommes immobilisés n'offre absolument aucun repère. Suze part donc en expédition vers l'avant - statistiquement, nous avons toutes les chances de voir une borne kilométrique d'ici 500-750 m. C'est le cas; Suze me crie que nous sommes juste avant le km 75, information que je relaye à Justine qui n'a pas bougé de peur de perdre le signal. On nous informe enfin que l'aide est en route... et qu'elle nous parviendra d'ici les 45 prochaines minutes.
Comme Justine est enceinte (le petit est dû pour la mi-avril), et que la température continue de descendre, nous décidons de redémarrer le véhicule pour nous réchauffer. Malheureusement, les clignotants d'urgence semblent avoir été trop énergivores pour le pouvoir de la vieille batterie du véhicule; elle est presque morte et ne parvient pas à fournir assez pour redémarrer.
Woops.
Justine s'installe tout de même à l'intérieur, mais nous préférons ne pas tous monter, car le petit cric montre des signes de faiblesses et la dernière chose qui nous manque est bien d'endommager plus sérieusement le véhicule. Le temps passe, la température chute un peu plus, l'obscurité domine maintenant les environs, on voit seulement les véhicules qui approchent par la lueur de leurs phares. Un véhicule sur cinq est une fourgonnette ou une voiture, les autres sont des poids lourds.
J'ai les mains gelées, les pieds gelés, le visage et le nez gelés, je fais des aller-retour sur 50 m derrière le véhicule pour tenter de limiter les pertes de chaleur corporelles, mais je demeure prudent, car je suis complètement invisible aux véhicules si je m'éloigne trop des clignotants qui fonctionnent faiblement. Isolés sur une route régionale, bercés par le bruit des poids lourds, aspergés par un mélange de poussière de roche, de calcium et de résidus de neige, figés par le froid, bref, c'est le confort...
This is North America.
Nous allons passer presqu'une heure à attendre les secours. À son arrivée, l'homme en charge de la remorque tente à son tour de dégager notre roue de secours. En vain, et malgré ses outils et équipements. Nous devons donc replacer notre roue originale et son pneu crevé pour lui permettre de nous remorquer. Il nous emmène enfin de l'autre côté de La Tuque, à 44 km de notre position en direction du Lac St-jean (heureusement), où un garagiste s'attaque à nos problèmes(*). Après de nombreux efforts et un temps considérable, il parvient à détruire le mécanisme pour libérer la roue de secours et la poser. Il recharge la batterie et permet donc au véhicule de redémarrer. Entre temps, nous sommes parvenus à nous réchauffer, à nous restaurer un brin, bref à recharger nos batteries à nous aussi. Nous faisons le plein d'essence, puis nous reprenons la route vers le Lac St-Jean. Il est 19h30.
Vers 20h45, nous atteignons Chambord, au Lac St-Jean, puis Roberval et St-Félicien, où nous avons rendez-vous pour changer de véhicule. Justine et Dominic reprennent courageusement la route vers Chibougamau, à 235 km de St-Félicien, où ils demeurent et où Justine travaille le lendemain matin. Nous filons vers Dolmis, que nous atteindrons peu après 22h.
Nous aurons mis un peu plus de 9h pour faire le trajet Montréal-Dolmis. Comme quoi les pays du sud n'ont pas l'exclusivité des mésaventures de déplacement en indépendant. Lorsque ce genre de choses arrive dans mes voyages (je pense au Pérou, à la Bolivie, au Guatemala ou au Vietnam, par exemple), je rigole et perd beaucoup de temps, mais je vais vous dire une bonne chose: Je ne gèle jamais. D'ailleurs, quand ce genre de mésaventure m'arrive ailleurs, je n'hésite pas à sortir mon appareil et prendre des photos. Mais mercredi dernier, ça risquait trop de me coûter un doigt, alors je n'ai pas osé. D'où l'absence d'images sur ce billet.
TINA.
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(*) Je remercie sincèrement le conducteur de la remorque, qui a fait une sévère entorse aux règles de sécurité habituelles en acceptant de nous embarquer tous les 4 dans sa cabine (chauffée, aaaahhhh), malgré le manque d'espace et de ceintures. L'alternative aurait été de laisser deux d'entre nous geler sur place pendant les 45 minutes qu'il aurait mis à refaire le trajet aller-retour. Je remercie également avec autant de sincérité Jocelyne Blouin de ne pas avoir annoncé des températures de -35 ce soir-là, en Mauricie.

1 commentaire:

  1. Je ne savais pas que tu étais rendu à Dolbeau. Bon séjour à Dolbeau, mais tu dois dire: Vive l'autobus et le métro Hi!!!!!!!

    Quand même, ça pas été facile. Te rappelles-tu que J.E dit toujours: Des bonnes mitaines chaussures et veston chaud, en cas de panne. Quelquefois je trouve qu'il exagère, mais il a bien raison.

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