vendredi 4 février 2011

Oscars 2011: La crise, la guerre, l'art urbain ou les gaz de schiste?

Il est plutôt rare d'avoir l'occasion de voir les films en nomination dans la catégorie meilleur documentaire avant un gala des Oscars. Cette année, pourtant, j'ai réussi à en voir 4 sur 5. Voici donc ce que je pense de chacun de ces quatre excellents films.
Gasland
Voici un film à petit budget, réalisé par Josh Fox sur une initiative personnelle et sans équipement spécialisé. Le jour où Fox reçoit une lettre d'une compagnie d'exploitation de gaz de schiste lui offrant de "louer" son terrain avec un bonus de signature de 100 000 $, l'homme s'interroge sur cette offre et cette industrie. Il entreprend donc un périple avec sa caméra un peu partout aux États-Unis pour voir ce que réalise l'industrie, et constater les impacts sur la population, les terres et l'environnement. Voilà un documentaire choc, dont l'impact est immédiat. Tous les néolibéraux de droite qui militent aveuglément pour l'octroi de permis d'exploitation de gaz de schiste devrait obligatoirement voir ce film. Bien documenté et informatif, Gasland s'attarde un peu plus aux impacts directs sur la vie des gens: Champs de citernes, paysages dévastés, contamination de la nappe phréatique, fuites innombrables, inflammabilité de l 'eau potable et de l'air ambiant(!), la liste est longue et inquiétante. Les gens qui en souffrent directement (maladies diverses) l'est aussi. L'autre côté de la médaille (l'industrie) a refusé de collaborer, à quelques exceptions près; quelque politicien local qui répète les arguments fallacieux de l'industrie: aucune source d'énergie n'est parfaite, on veut réduire notre dépendance au pétrole, etc. Un représentant au congrès (ou un sénateur, je n'ai pas noté sur le coup), mentionne même - dans un moment quasi surréaliste - qu'il est pour cette industrie pour éviter de devoir dépendre des pays producteurs de pétroles et donc, du terrorisme! La célèbre prise où on voit l'eau du robinet s'enflammer n'est pas une exception parmi les scènes révélatrices de Gasland. Évidemment, avec le débat sur l'exploration de cette filière gazière au Québec, ce documentaire devient un must pour tout citoyen d'ici qui veut avoir de l'information - puisque ce qui sort de nos ministères provient directement de l'industrie en question. On devrait expédier une copie de ce DVD à Lucien le Lucide, question de voir jusqu'où peut aller sa lucidité.
Exit through the gift shop
Voilà bien le documentaire le plus déjanté de cette courte liste de nominations à l'Oscar. L'origine de ce film est complexe et hilarante; Thierry Guetta est un français qui habite Los Angeles et qui tient une petite boutique de vêtements. Il a une obsession: filmer. Armé d'une petite caméra vidéo (à cassette), il filme tout et toujours; sa vie, ses enfants, ses activités; les objets de son quotidien, il filme tout, accumule les cassettes et passe à la suivante sans jamais les regarder. Il documente (ou le croit-il). Jusqu'au jour où il s'amuse à filmer un street artist (ou artiste urbain), qui applique des portraits au stencil un peu partout en ville. Thierry devient fasciné par cet art qu'il filme sans cesse, parfois jour et nuit. Jusqu'au jour où il est mis en contact avec Banksy, l'artiste urbain britannique de renom (et anonyme) le plus célèbre de son époque. Devant le désastreux résultat du documentaire sur l'art urbain monté par Thierry, Banksy ramasse les cassettes pour monter le film autrement. Pendant ce temps, Thierry, de retour à L.A., s'adonne lui-même à l'art urbain et atteint, sous le pseudonyme de Mr. Brainwash, le statut d'artiste de renommée mondiale en quelques semaines. Banksy décide alors le documentaire sur lui-même ne vaut pas la peine d'être monté; ce qu'il faut faire, c'est monter le film pour en faire un documentaire sur Thierry/Mr.Brainwash. Le résultat est Exit through the gift shop, un film hilarant sur un personnage déconnecté de la réalité, qui vit ses passions et ses obsessions avec aucune limite.
Le regard sur l'art urbain et sur Banksy lui-même est également intéressant. L'artiste a réussi à la fois à documenter cet art, à raconter l'histoire de son ami, et à signer un film, lui qui n'a jamais révélé sa véritable identité.
Restrepo
Documentaire sur la guerre, Restrepo nous fait accompagner un peloton américain basé en Afghanistan, pendant un peu plus d'un an, dans une des plus dangereuse vallée du pays, qui est d'une importance stratégique majeure. Le film met d'abord l'emphase sur les militaires, leur point de vue et leur progression dans cette mission de 15 mois. Les images sont percutantes, et permettent (pour la première fois?) d'assister véritablement à ce qui se passe là-bas à l'extérieur des cordons habituels réservés aux médias d'information. Cette incursion dans la vie privée des soldats permet d'avoir une meilleure idée de leurs conditions de travail, et de l'évolution de cette mission en Afghanistan. Le résultat est à mi-chemin entre le respect pour l'homme d'armée et l'illustration imparfaite de l'absurdité de la guerre. Le film développe les sympathies envers les soldats présents et leurs relations interpersonnelles, sa réflexion est donc influencée par ces témoignages de première main et les images de combats, de réjouissance, de détresse et de mort. L'illustration de l'absurdité est indirecte; mais en voyant ce qui se passe là-bas, l'absurdité de la situation ne peut que se révéler au spectateur. Par exemple, ce ne sont pas des diplomates qui rencontrent les conseils de sages des villes et villages, mais des soldats qui tentent de leur expliquer/imposer bien sommairement nos idées et notre point de vue. Restrepo est donc (involontairement) profondément déprimant dans sa conclusion et son regard sur la guerre. Mais le film a la grand mérite de montrer que tout n'est pas noir et blanc; les gens des villages de cette vallée dominée par les Talibans n'aiment ni ne supportent les Talibans, même s'ils n'aiment ni ne supportent pleinement les soldats non plus. Comme bien des gens sur la planète, il font ce qu'ils peuvent pour s'en sortir pendant que les forces en présence s'affrontent et se disputent leur allégeance.
Inside Job
J'avais mentionné dans un billet précédent que j'avais raté Inside Job au cinéma. Le cinéma du Parc m'a récemment permis de me reprendre, juste à temps avant les Oscars (car le DVD ne sort qu'en mars).
Inside Job est un film fascinant et d'une ambition incroyable: vous raconter et vous expliquer comment, pourquoi, et à cause de qui est arrivée la crise économique mondiale qui ravage la planète depuis 2008. Le documentaire est superbement filmé, documenté avec sérieux, monté avec soin et narré comme un suspense. Le réalisateur Charles Ferguson montre avec méthode les causes qui ont précipitées cette crise, qui en était responsable, comment les choses ont évoluées, l'ensemble documenté depuis le milieu des années 70. Inside Job fait sa démonstration de manière aussi simple que 1+1=2 et il faut saluer son approche systématique, qui ouvre la porte à des spécialistes d'un peu partout au monde, ainsi qu'à des acteurs qui ont joué un rôle de premier plan dans la crise. Les quelques personnes importantes qui n'apparaissent pas dans le film sont identifiées avec la mention qu'on ne les voit pas car ils ont refusé de participer. Cet excellent film devrait être projeté au Parlement de Québec comme à celui d'Ottawa; nos représentants y verraient peut-être à quel point tout cela aurait pu être évité et pourquoi les citoyens sont cyniques envers les politiciens. Évidemment, même si les causes et les responsables sont bien identifiés (ultimement, les politiques néolibérales favorisant le privé, les nantis et la déréglementation du milieu financier), ces mêmes tenants de la droite économique continuent de nier l'évidence et de promouvoir leur point de vue; c'est l'aspect pathétique révélé dans Inside Job. Mais ça en est également l'aspect le plus inquiétant, puisqu'aucun de ces responsables n'a eu à faire face à ses responsabilités, et ces représentants sont toujours en place et collés au pouvoir politique américain. Ce film fait aussi réaliser à quel point cette mentalité, dangereuse pour l'ensemble du monde au profit d'une poignée, représente désormais la voix quasi unique des grandes universités, des grands gouvernements et des grandes industries. Ce n'est donc pas étonnant qu'elle domine également à Ottawa et Québec, où nos propres dirigeants continuent d'appliquer ces politiques la tête baissée (dans le sable?). Inside Job fait donc le regroupement et le recoupement idéal des informations et avenues que j'avais explorées avec les films et émissions télé sur la crise et dont j'avais parlé dans mon billet précédent.
Waste Land
Une note en terminant, sur le 5e film en nomination aux Oscars. Il s'agit de Waste Land, un film sur l'art urbain, tourné dans un dépotoir du Brésil, qui explore la transformation humaine. Il est qui est sorti en festival (d'abord Vancouver, puis Montréal), et a été distribué de manière limitée depuis novembre. Je n'ai pas eu l'occasion de le voir, et sa sortie DVD n'est pas annoncée avant les Oscars.
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